Texte du critique Damien Airault issu du catalogue du 57ème Salon de Montrouge
« Je suis une humaniste, je veux toucher quelque chose d’universel ».
« Je recueille des changements d’états de la matière qui se logent dans notre environnement naturel. »
Le fait de recueillir n’est cependant pas le plus important. Faisant fi de tout dispositif contraignant, Keen Souhlal reste focalisée sur ses oeuvres et cherche à les figer dans des états transitoires : le moment où un matériau pourrait se disloquer, s’évaporer, où une image pourrait exister dans une sorte de demi-rêve, ou de demi-éveil. Son objectif, chose de plus en plus rare, est donc un travail finalisé, bien plus qu’un processus : montrer la plasticité et l’éphémérité, la solubilité, de la matière et des images et tenter d’en capter le magnétisme.
Dans les effets, sa photographie et ses sculptures semblent animées d’un léger tremblement, un état d’attente dynamique. C’est un passage doux, un silence. Peut-être que les objets et les matériaux n’aspirent, comme les personnages d’un conte, qu’à la venue d’un regard ou d’une main qui viendra leur redonner vie.
Dès lors, à y regarder de plus près, on devine d’étranges comportements, et on oscille entre apaisement et inquiétude : jeux de transparences et de couleurs, rayons de lumières, personnages, reflets, flashs dissimulés dans l’image, fragilité précieuse, sans que les œuvres n’apparaissent résulter d’un quelconque stratagème. Comme si les visions de Keen Souhlal étaient peuplées de fantômes bienveillants. Comme si chaque élément était par magie habité de sa vie propre. Et c’est cela que nous pouvons appeler le tremblement : la conséquence d’une autonomie donnée aux éléments constitutifs de l’image. Autrement dit, charger de conscience et de précaution chaque détail, pris comme tel.
Alors il ne faut pas rechercher les origines du travail de Keen Souhlal dans l’histoire de la sculpture figurative ou dans la photographie plasticienne, mais dans quelque chose de plus intérieur. Le but est de ré-enchanter le décor bien trop statique qui nous entoure, sans partir de repérages, laisser l’opportunité à chaque chose de nous surprendre et de respirer.
Le sommeil de la raison n’engendre pas que des monstres.
Damien Airault